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Florie Dumas-Kemp

Octobre 2019. Des manifestations étudiantes éclataient au Chili, d’abord en riposte à une hausse des tarifs de transports dans la capitale. Le mouvement prend rapidement de l’ampleur. C’est une révolte contre les inégalités toujours plus extrêmes, la privatisation et le néolibéralisme. La répression gouvernementale ne s’est pas fait pas attendre : état d’urgence, couvre-feu, blocages d’internet, censure sur les réseaux sociaux, répression policière. Avec Réapproprie-toi la technologie!, c’est à cette période que nous avions prévu un Cercle d’apprentissage féministe sur la question de l’évaluation des risques en sécurité numérique. Étant donné la situation, et puisque notre formatrice, Paola Mosso de chez Engine Room, est chilienne, nous avions du reporter notre webinaire.

Nous avons reporté notre Cercle d’apprentissage à un mois plus tard. Les inscriptions pleuvaient. Le situation chilienne était loin d’être un cas isolé. Dans un contexte de soulèvements mondiaux, de surveillance accrue de nos appareils et de nos mouvements, notre webinaire visait dans le mille pour des militant.e.s des quatre coins du globe. Comment pouvons-nous rendre nos campagnes plus sûres? Comment se protéger adéquatement? Et nos données? Par où commencer?

Ainsi, le 21 novembre 2019, Paola Mosso et Barbara Paes, de chez Engine Room, nous ont partagé leurs savoirs sur l’évaluation des risques. Si vous ne connaissez pas l’Engine Room, c’est une organisation internationale qui appuie des militant.e.s et organisations au niveau de leurs données et de la technologie dans une optique de changement social.
 

Pourquoi faire une évaluation des risques?
 

Les risques, que nous rencontrons en tant que militant.e.s, varient selon nos contextes et notre type de travail. Les risques peuvent aller de la surveillance à des attaques physiques en passant par l’emprisonnement ou la stigmatisation. C’est pourquoi il n’existe pas UNE stratégie de réduction des risques ou UNE stratégie qui protégerait tout le monde de la même manière. Les personnes sont affectées différemment selon leur contexte et où elles se trouvent à l’intersection des oppressions. Les risques sont différents pour une militante blanche nord-américaine que pour une militante queer en Ouganda ou une militante féministe au Chili, par exemple.

Comme nous disaient Paola et Barbara, on fait une évaluation des risques pour « nous aider à réduire les menaces et ainsi atténuer les conséquences d’une attaque potentielle ». Faire une évaluation des risques, ou penser aux risques potentiels, peut faire peur ou être angoissant. Mais en réalité, comme le disaient Paola et Barbara, le simple fait d’y réfléchir et d’entamer le processus, c’est déjà une façon de réduire les risques. Ça permet de mieux cibler nos forces (capacités actuelles) et besoins (capacités nécessaires) en matière de sécurité : ça nous donne de la force. Pour ce faire, elle nous ont partagé quelques outils d’analyse personnelle ou organisationnelle. Dans ce billet, je vais tenter de mettre en pratique le premier avec des exemples fictifs.


La formule risque
 


Tirée du Manuel de sécurité : Mesures pratiques pour les défenseurs des droits humains en danger

La formule ci-haut, est un outil qui nous amène à mieux cerner nos besoins en sécurité.

En gros, on peut apprendre à diminuer les risques en identifiant :

- les menaces qui nous concernent : « déclaration ou indication d’une intention d’infliger un dommage, une punition ou une blessure - prochaine ou immédiate - »

- nos vulnérabilités : « tout facteur qui rend la concrétisation d’un préjudice plus probable ou plus important »

et en connaissant et renforçant :

- nos capacités : « toute ressource - y compris les aptitudes et les contacts - qui renforce la sécurité ». On pourrait aussi dire que ce sont les actions qu’on peut entreprendre.

Je vais donc prendre un exemple fictif : des militantes vont bientôt lancer une campagne nationale en ligne contre le harcèlement sexuel dans les transports en commun. Parmi les organisatrices, certaines sont très connues du public (Vulnérabilité) et ont déjà été la cible de menaces en ligne par le passé, cela pourrait se produire à nouveau (Risque). Heureusement, les militantes ont un réseau de soutien fort en ligne et hors ligne (Capacité actuelle). Pour encore mieux diminuer les risques d’une attaque sexiste en ligne, les militantes peuvent faire des recherches sur elles-mêmes en ligne, vérifier les informations qui s’y trouvent et modifier leurs paramètres de réseaux sociaux pour plus de confidentialité ou d’anonymat (Capacités nécessaires).


Extrait de la présentation de Paola et Barbara

Avec un tel exemple, on pourrait se demander comment différents contextes affecteraient ces 4 éléments. Si une des militante est trans et n’est pas sortie du placard, quels autres risques court-elle? Si cette campagne est lancée à Dehli ou à Londres, qu’est-ce que ça change pour les militantes? Si les militantes s’organisent de façon autonome sans soutien de grandes ONGs, comment les risques et capacités seraient affectées? Toutes ces questions nous rappellent comment une évaluation des risques est toujours contextuelle. Nous sommes les premières à connaître notre contexte et donc les principales à savoir comment y agir et s’y protéger.

Chez Réapproprie-toi la technologie!, on a développé un jeu de carte, un exercice interactif et ludique, qui peut servir d’introduction à l’évaluation des risques. Le jeu Réapproprie-toi la technologie! est un jeu de rôle basé sur différents scénarios de violences en ligne basées sur le genre et l’objectif est de développer des stratégies pour riposter et se protéger.

En somme, faire une évaluation des risques peut sembler une étape vertigineuse, mais au fond c’est la meilleure façon de reprendre du pouvoir sur nos peurs et insécurités.

Vous pouvez consulter la présentation de Paola et Barbara, le Manuel de sécurité de Frontline Defenders et l’enregistrement du webinaire.

Consultez nos Cercles d'apprentissage féministe.