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Candy Rodríguez

Comment s’approprier l’internet ? C’est l’une des questions qui m’a le plus fait réfléchir pendant la Rencontre Cyber-hackféministe contre la Violence Patriarcale du 2 décembre 2019 au Centro de Investigaciones Interdisciplinarias en Ciencias y Humanidades de l’UNAM (à Mexico).

Mais est-ce qu’on veut vraiment se l’approprier ? – avec tout ce que cette phrase suppose de relations de pouvoir, Haydeé a attiré l’attention sur le fait que l’appropriation parle depuis l’individualité, « ce qui nous est propre n’est pas des autres » et nous a demandé si nous voulions vraiment habiter un tel espace, selon une telle logique. Elle a comparé cela avec les entreprises, « qui s’approprient nos données » et abusent de leurs relations de pouvoir envers leurs utilisatrices et utilisateurs.

Mieux vaut parler d’habiter l’internet, « l’habiter comme un espace de prise en charge collective ». L’habiter depuis les féminismes implique d’entamer un dialogue, des relations horizontales, de créer des méthodologies féministes et de soutien mutuel pour la construction de connaissances dans les espaces numériques.

La rencontre a fait ressortir un nombre incalculable de thèmes et d’idées, et pourtant toutes avaient pour point commun le fait que nous devons agir en groupe pour habiter et construire un internet en faveur de la diversité et du féminisme. À plusieurs moment il a été question de l’énorme responsabilité que nous devons assumer pour construire/habiter cet espace. Nous devons nous positionner en tant que créatrice et non plus uniquement utilisatrices. L’internet est pour nous un terrain politique qu’on nous conteste en permanence.

Paola nous a également suggéré de construire des réseaux en dehors de l’espace numérique, et a parlé de la possibilité d’imaginer d’autres formes de communications qui nous permettraient de ne plus dépendre d’entreprises qui gagnent de l’argent sur notre dos. L’extractivisme de données consiste à accepter des conditions avec l’idée qu’il n’y a pas d’autre option possible, et croire qu’il n’existe pas encore de mécanismes qui nous apportent diligence, autonomie et liberté. Selon elle la colonialité [dans l’espace numérique] est la dépossession de notre intimité.

L’internet, ce n’est pas que ce qu’on y publie, ce n’est pas ce qui y circule. L’internet n’est possible que parce que nous sommes des personnes qui nous y branchons, qui nous y connectons, qui téléchargeons des informations. L’internet se construit à travers toutes les identités que nous adoptons, dans cet espace et en dehors de lui. L’internet n’est pas un espace à part. Et nous devons savoir à quoi nous disons oui et pourquoi.

Suite aux échanges sur nos diverses initiations à ces espaces, nous étions toutes d’accord sur le fait que beaucoup d’entre nous avaient été formées dans des espaces dirigés par des hommes, riches, blancs, et dans des environnements où le pouvoir était détenu par celui qui sait. Les espaces d’enseignement sont des lieux où la négociation est terrible, très dure, très réelle, ce qui explique comment toute la base, toute la structure des télécommunications dérive du pouvoir, du contrôle, du déploiement d’armes, nous apprenait Amaranta.

Nous, cyberféministes et hackeuses féministes, questionnons ce type de pédagogie hiérarchique et nous nous regroupons, nous parlons de problèmes personnels parce que nous croyons fermement que ce qui est personnel est politique et que parler de ces expériences politise nos espaces, nos corps, politise nos manières d’être/d’enseigner tant au niveau collectif que personnel.

Nous, cyberféministes et hackeuses féministes, ne demandons pas si on peut le faire, on arrive et on le fait. Cela a été le cas du Hacklabfeministe La Chinampa : elles n’ont pas demandé avant de prendre l’espace, personne n’est allé leur enseigner quoi que ce soit, elles ont fondé, généré des réseaux et ont ainsi créé un espace physique d’apprentissage collectif.

Nous, cyberféministes latinoaméricaines, avons décidé de créer et construire en groupe, voilà le futur féministe dont parle Guiomar Rovira – la collectivisation de la lutte et du savoir.

Les réseaux sauvent des vies, comme l’a dit Lulú Barrera, et les  cyberféministes et hackeuses féministes le savent, nous l’avons vu à chaque mobilisation sortie de l’espace numérique pour se retrouver dans la rue, nous l’avons vu avec le #24A, le #25N et la « glitereada » (la manifestation des paillettes roses) mexicaine de ces derniers mois.

Nous nous basons sur l’éthique hacker selon laquelle il est bon et même essentiel pour la vie de partager. Nous savons que l’internet est un espace qu’on habite, qu’on construit et qui contient de nombreux savoir-faire, et comme toute architecture, beaucoup de formes de pouvoir. Nous reconnaissons la possibilité de créer une nouvelle architecture de l’information capable de déstabiliser cette structure de pouvoir ET chacune d’entre nous pouvons décider nos propres règles.

Cette rencontre a servi à hacker le monde académique, à parler des violences que nous subissons dans le contexte mexicain et de la façon dont cette pratique nous a permis de trouver des manières de résister collectivement. Nous avons parlé de l’importance de continuer à hacker l’internet et les principes qui le gouvernent. Nous sommes revenues sur l’histoire des principes féministes de l’internet aux côtés d’Erika Smith. Elle nous a rappelé l’importance de la mémoire et comment ce nouveau principe était apparu au Mexique avec Estrella qui en avait fait la proposition.

Lili nous a parlé de l’importance du consentement dans n’importe quel habitat, Estrella nous a fait réfléchir à l’importance de la maîtrise de nos actions et de la conservation de notre mémoire collective concernant les processus organisationnels. Fany nous a raconté comment elles se sont appropriées l’espace numérique et comment l’accompagnement des femmes désirant avorter s’était développé à travers l’internet.

Alex nous a parlé de l’importance de reconnaître nos droits dans l’espace numérique. Olimpia a expliqué le processus de création du paquet de réformes que le Mexique légifère actuellement. Caro nous a parlé de ses recherches sur la législation de la violence numérique, Angie nous a raconté son expérience concernant la tentative d’incorporation d’une loi qui sanctionne la violence numérique dans un État du Mexique très conservateur, Aguascalientes.

Irene nous a parlé de l’importance de politiser le code, de rompre les schémas et stéréotypes habituels concernant les corps, et de la construction de connaissances collectives. Yunué a parlé des agressions en ligne contre les femmes journalistes et les implications que cela entraîne pour la liberté d’expression des femmes au Mexique.

Karla a partagé avec nous son réseau local au cours de la rencontre. Un grand merci à Fer pour son partage constant de ses pensées et sentiments quant à sa manière d’habiter les technologies et comment celles-ci lui traversent le corps. Marianne nous a permis d’écouter/regarder comment utiliser le live coding, avec le matériel audiovisuel de la performance “un violeur sur ton chemin”.

Nous sommes toutes tombées d’accord sur le besoin de construire de nouvelles formes, de résister face à un internet qui veut nous censurer, nous calmer et rester conforme aux normes établies.

Pourtant, comme Irene Soria l’a dit, il est tout à fait possible que nous ne voyions pas ce changement ; si l’avenir consiste à mettre fin au capitalisme, ce ne sera probablement pas nous qui le ferons, mais c’est notre rôle de préparer le terrain…

Et si l’avenir consiste à tout brûler, on brûlera tout.

Vous pouvez voir ici la vidéo (en espagnol) de la transmission de l’événement.

*Un grand merci au Grupo de Pesquisa em Gênero, Tecnologias Digitais e Cultura – Universidade Federal da Bahia et à Colectiva Insubordinadas pour la gestion et l’organisation de l’événement.