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Candy Rodríguez

Image tirée du Guide d’autoformation : comment réaliser un atelier cyberféministe ?.

Récemment, j’ai publié dans Hiperderecho, un Guide d’autoformation : comment réaliser un atelier cyberféministe ? Ce qui suit est le résultat de cet effort d’apprentissage et de la systématisation de nombreuses expériences en Amérique latine afin d’intégrer la question du bien-être et de la sécurité numérique, dans les discussions entre femmes et avec des collectifs, à partir d’une approche féministe, horizontale et des droits de la personne.

Tout au long du processus de mise en œuvre des ateliers ainsi que du partage des connaissances sur la sécurité numérique, nous avons construit des méthodologies, émergentes d’une position politique féministe, qui privilégient le partage et non l’enseignement pour apprendre et comprendre la sécurité numérique et les technologies de l’information et de la communication.

Compte tenu de ces principes, nous avons créé et partagé, comme cyberféministes et hackeuses féministes latina-américaines, nos connaissances lors de rencontres en personne et virtuelles. Nous croyons que l’écoute active est nécessaire afin de créer des stratégies de résistance et de riposte dans l’écosystème numérique, qui nous permettront d’utiliser et de nous approprier ces outils. Nous sommes de plus en plus nombreuses à choisir de nous occuper de ces espaces qui, historiquement, ont été construits à partir d’un regard androcentrique, capitaliste et patriarcal.
 

Quel est le sujet de ce guide ? Qu’allez-vous y trouver ?

Les idées qui s’y retrouvent ressortent de contextes où nous nous engageons, et sont inspirées par des mouvements politiques et sociaux tels que les féminismes populaires, les cyberféministes et les hackeuses féministes latina-américaines, et qui sont soutenues par certaines propositions méthodologiques comme l’éducation populaire féministe.

Dans ce guide, vous trouverez trois méthodologies afin de réaliser des ateliers de sécurité numérique : envoyer des sextos sans risque, reconnaître toute forme de violence numérique, ainsi que quelques stratégies afin de résister à la violence machiste dans l’espace numérique. Deux des ateliers présentent des outils qui viennent des projets Acoso.online et la Campaña Alerta Machitroll.

Les approches des ateliers ont été conçues à deux niveaux : d’un côté, je pensais aux gens qui seraient intéressés par le sujet et qui pourraient participer sans aucune connaissance préalable ; et de l’autre côté, j’ai jugé nécessaire de garder un registre d’ateliers libres.

L’objectif de ce guide est de nous permettre de créer une communauté avec nos amies, nos voisines, nos camarades d’école ou collègues et d’apprendre à nous occuper de l’espace numérique de manière collective, sans qu’il y ait de médiatrice ou de « cheffe d’atelier  »  ; toutefois, il est important de faire ressortir que ce matériel n’est qu’un résumé de la question et que les processus de sécurité numérique sont des processus d’apprentissage qui se font petit à petit et donc de façon graduelle.

 

De quoi nous inspirons-nous ?

Tel que mentionné auparavant, ce document est inspiré par les processus d’enseignement dans d’autres contextes, dont l’un étant La Chinampa Hacklab qui se trouve au Mexique. Dans cet espace, la Colectiva Insubordinadas (le Collectif des Rebelles) s’est réunie avec des groupes de femmes afin de discuter de la question « de l’apprentissage et du partage d’après nos différentes connaissances. C’est un espace féministe et l’on organise des ateliers ouverts et des sessions de travail collectif. On promeut l’éthique hacker et l’utilisation des logiciels et du matériel libres en tant qu’outils utiles au développement de l’autonomie — des femmes et d’autres corporalités dissidentes — en ce qui concerne la technologie, l’activisme, la construction de projets communs, la sécurité numérique, le partage des connaissances et la création de médias libres ». Ce sont des propositions du féminisme populaire basées sur des pédagogies féministes, et elles constituent la base théorique de ce guide. Mais que veut-on dire par ces concepts ?

 

Qu’est-ce que le féminisme populaire? Comment l’intégrer dans nos ateliers cyberféministes à travers des pédagogies féministes populaires ?

Lorsqu’on parle de pédagogie féministe populaire, on parle d’une méthode d’enseignement qui a émergé des pratiques du féminisme, créée à travers des conversations, des ateliers, des réunions dans lesquelles il y a une écoute active et une réciprocité de la parole — comme l’ont été les réunions cyberféministes. Cette approche a pour référence les apprentissages de la pédagogie libératrice et de la pédagogie populaire de Paulo Freire et vise à ce que la lecture soit revue, critiquée et appropriée à partir de différents féminismes.

À cet égard, dans le guide Méthodologie de l’éducation populaire féministe pour l’autonomisation des femmes, réalisé par Cantera, il y est indiqué « qu’à partir de la pédagogie, nous pouvons réfléchir et agir sur la nécessité et la méthode de la manière dont les personnes opprimées acquièrent une conscience critique de leur réalité à travers des processus éducatifs libérateurs. De cette façon, on conçoit que le continuum existant entre une forme de conscience et une autre peut être traversé au moyen d’une éducation qui, au lieu de domestiquer et d’adapter la personne à sa réalité, l’aide à problématiser celle-ci et à l’analyser de manière critique » (Centro de capacitación y educación popular-Cantera : 9).

La pédagogie populaire féministe s’appuie sur la construction de processus d’apprentissage autodidactes, ou animés par quelqu’un d’autre, par lesquels les individus réfléchissent afin de transformer leur réalité sociale. Cela s’appuie sur la conviction que nous avons toutes quelque chose à apporter : nous apprenons donc toutes les unes des autres - comme le remarquent les femmes hackeuses féministes avec le « faisons-le en troupeau ». Il convient de noter que cette méthode est axée sur les personnes et leurs processus personnels et collectifs, ainsi que le retour d’information conjoint, l’écoute active et la construction commune.

Et d’un autre côté...

Comme le souligne Claudia Korol dans le livre Féminismes populaires : Pédagogies et politiques cette proposition privilège vivre avec dignité dans un territoire qui viole les femmes, systématiquement, elles « cherchent des moyens de désorganiser la violence du capitalisme colonial et patriarcal, à partir de nos corps formés pour résister, pour soigner, pour embrasser, et quand c’est nécessaire, pour lutter » (p.14). En outre, comme l’indique aussi Korol, ces féminismes regardent la réalité et la transforment d’en bas, ce qui nous permet de nous nommer dans un « nous » et génère des contextes dans lesquels nous pouvons nous reconnaître comme des alliées, créées à travers de nombreuses rencontres, marches, dialogues, cris, célébrations, fêtes et embrassades. Reprenant cette idée, c’est la raison pour laquelle nous vous invitons à utiliser le guide et à reproduire les ateliers dans les espaces que vous habitez.

Le concept de « féminisme populaire » nous parle des changements nécessaires à la reconfiguration des différents systèmes qui violent et violentent les femmes, tels que le capitalisme, le colonialisme et le patriarcat. C’est-à-dire ces violences entremêlées auxquelles les femmes racialisées et précaires sont confrontées avec plus de fréquence et d’intensité. Précisément, cette approche nous permet d’identifier les violences qui agissent ensemble et s’amplifient entre elles. Ce que le féminisme populaire proclame, c’est un positionnement dans lequel il rend visible que toutes les femmes n’ont pas la même expérience en ce qui concerne la violence de genre qui traverse nos vies.

Et la violence numérique est une modalité qui est renforcée par d’autres formes de violence qui sont reproduites dans l’espace physique, et pour cette raison nous incluons la proposition de discuter de la façon dont nous habitons l’internet et de ce que nous pouvons faire pour construire un internet plus sûr avec notre communauté.

Nous vous invitons à examiner ce matériel, à le partager et à y réfléchir avec vos ami·e·s, vos collègues, ou qui vous voulez.

N’oubliez pas que l’internet se construit ensemble et en réseau.